Alba's Meltin' Wok

Le département d’Alba et de la Langa vit un grand moment gastronomique qui en fait un des points chauds de l’échiquier gastronomique national et international. On n’avait jamais mangé aussi bien dans la région de l’Alba. Cela ne veut évidemment pas dire qu’on n’y mangeait pas bien avant, loin de là, car cette région a toujours été favorisée à cet égard : collines fertiles et fécondes ; élevages bovins, porcins, ovins et volailles ; culture de légumes ; grands vins ; champignons, truffes, etc.
Tout cela se traduit par une cuisine qui a toujours plu aux visiteurs, avec ses antipasti, ses pâtes aux œufs, ses viandes grillées et en ragoût, son chocolat,... Ici, les bons restaurants et les bons cuisiniers n’ont jamais fait défaut. Vers la moitié des années quatre-vingt-dix, un jeune chef courageux et audacieux originaire de la province de Turin débarque à la Langa : un tel Maurilio Garola, qui ouvre La Ciau del Tornavento. Une petite révolution gastronomique s’empare alors de la ville paisible. En un clin d’œil, le restaurant devient la référence des gourmets. Outre les plats locaux classiques, Maurilio propose son inspiration et ses idées innovantes au sein de ce contexte gastronomiquement conservateur. Poissons, recettes traditionnelles réinterprétées, ironie, nouveaux produits,… Dix ans plus tard surgit la nouvelle génération de cuisiniers de la Langa. En plus des chefs autochtones, ceux venus d’ailleurs pour ouvrir leur propre restaurant ou pour prendre les rênes d’importantes institutions ont des vertus surprenantes. Comme le Mexicain Guillermo Field, qui ouvre Il Profumo di Vino à Treiso après être passé par La Ciau ; le Japonais Masayuki Kondo, à Locanda del Pilone (Alba), qui propose sa cuisine en direct sous la supervision du Campanien Tonino Cannavacciuolo ; Damiano Nigro (né à Puglia et formé dans les grands palais parisiens), au restaurant Villa d'Amelia (Benevello) ; Pier Bussetti, au Castello di Govone (le plus créatif des cuisiniers de Turin, arrivé à la Langa à la mi-2010) ; Bruno Cingolani, originaire des Marches, qui travaille aux fourneaux de l’excellent Dulcis Vitis, à Alba ; le Lombard Enrico Crippa, également installé à Alba, dont le restaurant Piazza Duomo a atteint le sommet de la cuisine italienne ; Savino Mongelli, qui provient aussi de la province de Turin, depuis le Castello di Santa Vittoria (Alba) ; ainsi que l’étoile naissante de ce groupe de jeunes talents, le Chinois Chen Shiquin, du restaurant La Rei, au complexe de villégiature Boscareto. Lorsque l’on s’attache de près à leur cuisine et que l’on voit la perfection avec laquelle ils élaborent les recettes traditionnelles de la région, on se rend compte de tout l’amour et le respect qu’ils ressentent envers le territoire qui les accueille. Certains perfectionnent les recettes existantes, allant jusqu’à les surpasser ; d’autres, plus audacieux, osent même réinventer la cuisine autochtone. La diversité de leur bagage culturel et de leurs aptitudes techniques débouchent sur des idées nouvelles, sur une cuisine plurielle qui fuit l’ordre établi, voire les plats typiques de la Langa, par ailleurs délicieux : viande crue, salade russe, agneau au thon, ravioli du plin, etc. Leur présence à la Langa est un bien et un besoin pour le développement et pour l’avenir de cette région extraordinaire, que la contribution professionnelle et culturelle de ces chefs venus de loin ne cessera de faire grandir. Grâce à certaines institutions et chefs d’entreprises qui ont cru aux vertus de ces chefs, les résultats ne se sont pas faits attendre : aujourd’hui, les valeureux cuisiniers locaux sont parvenus à créer une concentration de restaurants de qualité presqu’unique dans toute l’Italie ainsi qu’une image de marque réellement puissante à l’échelle internationale. Alba est enfin sortie du provincialisme. C’est comme cela que l’on fait croître une région ! Pas en arrachant les racines de plus de soixante-dix-ans de toute la partie centrale du vignoble de la Vigna Rionda, à Serralunga d’Alba ! Une action que l’on peut franchement qualifier d’insensée. Que l’on se tourne vers le passé ou vers l’avenir, seule la qualité permettra de vaincre : que replantera-t-on sur ce vignoble, si ce ne sont des clones anodins ? Combien de décennies faudra-t-il attendre pour que ce cépage mythique retrouve sa maturité ? Du haut des quarante ans que je viens d’avoir, je ne suis pas près de le voir… En quelques jours à peine, un patrimoine génétique irrépétible a été réduit à néant. Reste à espérer qu’on y replantera du Nebbiolo de Barolo...
Dans le village global de la gastronomie actuelle, Alba a su réinventer un avenir solide grâce à l’arrivée de ces cuisiniers qui, aux côtés de leur pairs d’Alba (Camia, Palluda, Vivalda, Giaccone, Alciati, Felicin, Cordero, etc.) ont rehaussé le niveau de la gastronomie du terroir et l’ont rendue unique en son genre.
P.S.: La Vigna Rionda est un des grands crus les plus exclusifs de toute la région du Barolo, comme le Bussia, le Cannubi et le Brunate.