de la qualité gastronomique du foie gras

Au-delà de l’élimination des toxines, du stockage de l’énergie sous forme de glycogène et de synthèse de nombreuses protéines du sang, le foie des poissons et volailles remplit une fonction importante de mise en réserve d’huiles destinées à l’approvisionnement calorique nécessaire lors des grandes migrations effectuées par ces animaux. Ce phénomène d’accumulation de graisse, connu sous la dénomination technique de stéatose hépatique, peut être analysé au microscope de manière très détaillée, laissant apparaître la formation de vacuoles claires à l’intérieur des cellules du foie. Chez les humains, la stéatose est pathologique et a des origines variées, dont les plus fréquentes sont d’ordre nutritionnel (obésité) ou toxique (alcool et médicaments). Le processus de stéatose est toujours associé à une augmentation de la taille du foie, qui adopte un ton jaunâtre dû à l’accumulation de carotènes et un aspect mou et graisseux. Dans le cas du foie gras de canard, où la stéatose provient d’une alimentation forcée de 15-20 jours, la taille du foie augmente de 6 à 10 fois par rapport à la normale.
Au microscope, on observe deux types de stéatoses :

a)Stéatose microvésiculaire ou microvacuolaire caractérisée par l’accumulation apparente d’une grande quantité de petites vacuoles grasses à l’intérieur des hépatocytes.

b)Stéatose macrovésiculaire ou macrovacuolaire, qui apparaît lorsque les hépatocytes sont occupés par une seule grande vacuole de graisse.

Nous avons personnellement eu l’occasion d’analyser au microscope de nombreux échantillons de foie gras cru et de les comparer avec d’autres ayant suivi le processus classique de cuisson sur braise d’Andoni Luis Aduriz, du restaurant Mugaritz de Guipúzcoa (Pays basque - Espagne). Cette technique suppose la coloration de lobes entiers de foie gras, à la poêle ou sur le gril, jusqu’à l’obtention d’une température de 60º C au cœur de la pièce, laquelle est ensuite mise brièvement en repos au four, puis dressée et mise sur assiette selon la recette spécifique.
À travers le microscope, nous avons observé une grande hétérogénéité quant à la stéatose des foies étudiés : la quasi-totalité des foies de canards d’origine industrielle présentaient une stéatose macrovacuolaire prépondérante (illustration 1), un fait qui contrastait avec la morphologie des animaux élevés de manière artisanale, puisque leur composante microvacuolaire était beaucoup plus nette, arrivant parfois à être clairement prédominante (illustration 2).
Après avoir cuit les foies, nous avons constaté que pour le foie gras caractérisé par une dégénération macrovacuolaire, la température a produit une rétraction notoire des protéines des trabécules hépatiques (illustration 3), provoquant une alvéolisation progressive du tissu, avec rupture des membranes périphériques des grandes vacuoles de graisse, cette dernière se répandant vers l’extérieur et laissant ces grands espaces vides ou rendant les macrovacuoles appréciables à l’œil nu, caractéristiques du foie gras de mauvaise qualité. Le fait que le détonant du processus soit la contraction protéique induite par la chaleur de cuisson explique la raison pour laquelle la qualité du foie ne peut être évaluée sur simple observation du foie frais.
Par contre, lorsque c’est la stéatose microvacuolaire qui prédomine au sein du foie gras, le phénomène post-cuisson décrit s’atténue considérablement et, bien que la rétraction des protéines soit similaire, les membranes des microvacuoles sont plus résistantes à la rupture et la graisse, restant partiellement présente au sein des hépatocytes demeurés intacts (illustration 4), s’évacue beaucoup moins facilement grâce au maintien de la cohésion interne du foie dépourvu de formation de macrocellules. Certains foies affichaient de vastes zones alternantes de dégénération macro- et microvacuolaire. Lors de la cuisson de ces foies hétérogènes, aussi bien l’observation à l’œil nu que l’analyse au microscope ont corroboré la différence de comportement post-cuisson la cuisson de chaque zone (illustration 5). Voilà pourquoi à partir d’un même foie gras, on obtient des tranches qui, une fois passées dans la poêle, se comportent de manière tout à fait hétérogène --l’un étant bon ou acceptable, l’autre plutôt médiocre. Sur le plan de l’origine du foie gras, l’existence de dégénération macro- ou microvacuolaire est probablement liée au type d’alimentation des animaux, car les meilleurs foies, c.-à-d. ceux ayant un taux de stéatose microvacuolaire supérieur, provenaient de l’élevage artisanal.