Alchimie Gastronomique

Il y a des questions sans réponses qu’il est très chic de se poser. Qui font beaucoup plus in que les apparences pseudo-intellectuelles, auxquelles les humains sommes si enclins, tout simplement parce qu’elles sont susceptibles de faire réfléchir. C’est le cas de la question de l’avenir de la saveur. Comme si le goût n’avait qu’un seul avenir, alors que les possibilités sont infinies.
Le terme qui définit le mieux le zénith gastronomique est l’immaculation, au sein de laquelle les ustensiles utilisés et les techniques les plus élémentaires peuvent évidemment déboucher sur des résultats divers. Une gamba rouge, pour donner un exemple que l’on peut étendre à d’autres fruits de mer, change de manière substantielle si elle est cuite dans l’eau ou sur le gril ; sans pour autant en altérer l’immaculation. Un concept que nous devons par ailleurs utiliser avec une certaine relativité, car si la langoustine est cuite une ou cinq minutes, quel que soit le système utilisé, les résultats gustatifs, tactiles, voire chromatiques seront différents. Qu’est-ce que donc l’immaculation ? Un concept facile à définir qui varie avec le temps, instable, interprété de multiples manières à toute époque.
A priori, personne ne discute l’immaculation, tout comme personne ne remet en question la pureté, a priori.
Il convient évidemment de se demander si la naturalité palatale totale existe. Bien sûr qu’elle existe, mais pas à 100%. La cuisine transforme la naturalité, la pureté, l’immaculation. Dès que l’homme intervient selon un critère, un procédé, aussi simple soit-il, s’opère une transformation du produit, qui conserve ses qualités intrinsèques de manières différentes. Un turbot sur le gril ne sera pas le même que cuit dans l’eau ou sur braises. Les trois options provoquent des réactions différentes de la peau, qui adoptera également d’autres caractéristiques en fonction des processus de cuisson utilisés.
La naturalité, la pureté et l’immaculation ont des interprétations infinies. Même lors des processus préalables à la cuisson. Le sel a par exemple fait des miracles. Une morue en salaison n’est-elle pas supérieure à une morue fraîche ? De même que la fumaison. Le saumon fumé ne demeure-t-il pas le grand symbole culinaire de ce produit ? Et que dire des séchages, dont l’exemple le plus glorieux est représenté par le jambon.
La cuisine doit être synonyme de naturalité, pureté et immaculation. Cet axiome a toutefois une exception. Ou plutôt une infinité d’exceptions. Une infinité d’exceptions à développer. Toutes seront bonnes s’il s’agit de rehausser les ingrédients traités. C’est là que réside le défi : renforcer la succulence justifie certaines pertes de soins si on œuvre pour la bonne cause, si la fin justifie les moyens.
L’aspect réellement délicat de cette philosophie survient lorsqu’il s’agit de magnifier des produits-vedettes. Et plus le niveau des délices sera élevé, plus la tâche sera difficile. On n’a pas encore trouvé le mode culinaire permettant à la truffe blanche de dégager plus d’odeur cuite que crue. On n’a pas encore trouvé la manière de cuire un jambon pour qu’il puisse surpasser l’excellence d’une tranche de Joselito. On n’a pas encore atteint le firmament culinaire. Comme celui de transformer le caviar en quelque chose de plus éminent que son essence même.
La vérité n’existe pas. Les vérités sont temporelles. Tellement conjoncturelles, qu’elles sont conditionnées par les « réalités et nécessités sociales ». Les civelles élaborées à base de lieu survivront aux civelles, la pâte de hareng en boules au caviar, le surimi sous forme de crustacé à la langouste. La recherche altérera les palais. Le flan industriel a imposé un goût chez les enfants. D’autres produits laitiers, devenus notre pain quotidien, sont présentés parfumés d’« arômes » et transforment sensiblement nos appréciations gustatives. Parfois pour un mieux, parfois non. Au niveau des textures, il existe de véritables trésors.
Tout est bon s’il s’agit d’améliorer les choses. Tout est bon même si le palais n’est pas capable de remarquer la différence. Si une glace est aussi bonne avec des jus congelés qu’avec des fruits frais, si on ne remarque pas le caractère préfabriqué de… joues de porc cuites et conservées sous-vide, ou si une morue injectée et congelée dépasse la salaison traditionnelle, bienvenus soient-ils.
Le débat sur le goût requiert du concret.
Oublions nos préjugés. L’alchimie gastronomique peut comporter des exceptions de génie. Le Coca Cola et ses buveurs sont là pour nous le rappeler. L’avenir s’annonce pluriel.