Gamba rouge de Denia à la poudre de charbon végétal, nappage translucide et germes de soja
quiquedacosta@quiquedacosta.es
Quique Dacosta est en train de conquérir l’Olympe des toques blanches. S’il y parvient, c’est parce qu’il a su concevoir une gastronomie qui lui est propre, une gastronomie d’un goût nouveau, en accord avec la philosophie qui a permis à la cuisine espagnole de se situer intellectuellement au premier rang mondial. Ses recettes, qui transmettent des expériences de jeunesse, brillent par leur naturel --une valeur absolue-- ainsi que par leur légèreté. Elles ont le grand mérite d’intégrer des contrastes de saveurs magiques. Sa cuisine est faite de propositions de plus en plus essentielles qui permettent de situer deux protagonistes incontournables sur un même pied : le produit 10/10 et la valeur ajoutée hors pair des traitements et condiments. Toujours conçue selon une perspective artistique, s’inspirant à merveille tant de l’éloignement que de la proximité, son œuvre peut être qualifiée de haute cuisine d’auteur valencienne d’avant-garde. Il n’existe aucun produit de son terroir d’Alicante qui ne lui ait inspiré de nouveaux horizons. Parmi les innombrables exemples, nous citerons le meilleur : la gamba de Denia, le délice de son village par excellence. S’il l’a proposée cuite durant de longues années, faisant des recherches constantes sur le plan du volume, de la fraîcheur et des techniques de cuisson pour finalement en faire la meilleure d’Espagne, aujourd’hui, il réalise l’un de ses grands rêves grâce à une recette qui comble ses aspirations créatives : un plat aussi bon que la gamba cuite avec une touche de génie. Une excuse pour savourer deux visions d’un même fruit de mer. Une recette qui allie le cru et le chaud, altérant la texture et adoucissant la saveur de la gamba. Une recette qui débouche sur un consommé qui affirme et recrée sa profondeur marine. Une recette qui propose une poudre de charbon noirci au riz et au thé, évoquant le grill et ornant le fruit de mer avec élégance. Une recette qui propose une garniture végétale, le germe de soja, qui, à l’instar des nouilles, vient embellir, rafraîchir et ajouter une note de complexité au plat. Une recette qui fait preuve d’une grande esthétique artistique, assurant la sauvegarde des jus de la tête tout en montrant la délicatesse de la chair mise à nu.
La Recette
Nappage translucide
Ingrédients
- 70 g de jeunes oignons
- 50 g de carottes
- 100 g de blanc de poireaux
- 5 g de piment aigre-doux de la Vera
- 25 g de cognac
- 200 g de tomates poire mûres
- 2 g d’ail de Las Pedroñeras
- ¼ de piment de Cayenne
- 5 l d’eau
- 15 g de sel
- 50 g d’huile d’olive douce
- 100 g de riz Senia
- 4 feuilles d’estragon frais
- 10 feuilles de cerfeuil
- 5 graines de fenouil concassées
- 1 kg de galères blanches
- 4 têtes de homard sauvage
- 500 g de têtes de gambas rouges
Élaboration
Détailler les légumes de manière régulière (en dés de 2 cm de côté), afin de bien contrôler le pochage.
Dans une casserole, à feu doux, dorer légèrement l’ail avec l’huile d’olive, puis retirer la gousse et ajouter tous les légumes excepté la tomate. Bien colorer avant d’ajouter la tomate mûre, qui sera pochée jusqu’à ce qu’elle perde toute son eau.
Après avoir ajouté et évaporé le cognac, incorporer les crustacés, bien mélanger pendant 5 minutes, puis couvrir le tout d’eau. Intégrer le riz en pluie, que l’on maintiendra pendant deux heures à 90ºC, de sorte que tous les ingrédients exhalent leurs propriétés et que le riz dégage les solides solubles chargés de donner de l’onctuosité au bouillon. Pendant les 3 dernières minutes, infuser les feuilles de cerfeuil et d’estragon ainsi que les graines de fenouil concassées.
Au bout de deux heures, filtrer fin, éclaircir (méthode traditionnelle), puis saler à point.
Le nappage translucide agit en tant que fil conducteur du plat et constitue le moyen par lequel sera infusée la poudre de charbon végétal, explicitée ci-après.
@. (Pendant les 2 heures de cuisson, une partie de l’eau se sera évaporée. Pour un bon résultat, des 5 litres d’eau introduits en début de recette, il devra rester 3 litres de bouillon)
Le soja
Ingrédients
- 40 germes de soja (haricot mung vert)
- 4 dents de lion blanches
- Huile d’olive douce
Élaboration
Juste au moment de la mise sur assiette, 20 secondes avant que la gamba ne sorte du four, faire revenir le soja et les dents de lion dans une poêle antiadhérante chaude et légèrement humectée d’huile pendant trois petites secondes. Transposer sur une assiette avec papier absorbant, puis dans une assiette creuse chaude pour le service. Coucher la gamba sur le soja et la dent de lion, préalablement disposés au centre du récipient.
Cendre en poudre de charbon végétal
Ingrédients
- 1 kg de son de riz
- 200 g de thé China Tarry (thé au parfum fumé)
Élaboration
Dans un four conventionnel (résistances plutôt qu’air pulsé) ou de préférence dans un four à bois ou à charbon végétal, bien répandre le son de riz sur des plateaux. L’idée est que le son de riz adopte une couleur totalement noire, sans qu’il ne gagne en amertume. La température devra donc être maintenue à 120º C jusqu’à obtention du ton souhaité. Une fois cet objectif atteint, laisser refroidir et mélanger avec le thé China Tarry (un thé très spécial, ayant un impressionnant arôme de fumée de charbon de vigne, dont nous avons voulu réduire l’intensité, excessive, par le biais du son de riz). Concasser dans un verre américain jusqu’à ce que l’ensemble soit réduit en poudre. Tamiser tout de même, puis réserver dans un doseur à fin treillis (un petit verre en acier, fermé à l’aide d’un fin filet métallique, de manière à faciliter le saupoudrage et à éviter l’évaporation des arômes) jusqu’au moment du service, où nous recouvrirons la gamba rouge de Denia tempérée avec une pluie de poudre.
@. L’idée du plat et de la création de ce nouveau charbon est d’amener la braise à la gamba et non l’inverse. C’est une simple question de délicatesse, car d’une part la gamba est très affectée par la puissance des braises et, d’autre part, la queue ne peut supporter ni la température ni la durée de cuisson tolérées par la tête (en cas de cuisson sur braise conventionnelle, la tête serait crue et la queue, plus fine, serait trop cuite).
La Gamba rouge de Denia
Ingrédients
- 4 gambas (19/kg) (1 par personne au menu)
- Huile d’olive douce
- Sel glace (sel pilé dans un verre américain jusqu’à obtention de la texture du sucre impalpable)
Élaboration
Préchauffer le four à 80ºC avec un taux d’humidité de 15%.
Sur un plateau en acier, placer la gamba subtilement imbibée d’huile d’olive au four pendant 2 minutes, le temps de filtrer la chaleur jusqu’au cœur de la chair et de la tête, mais en veillant à ce qu’elle reste totalement crue.
Au bout des 2 minutes, au sortir du four, sur le plateau même, saupoudrer la gamba de sel glace (point doux), puis de “charbon végétal”. Sécher la base afin d’éviter un excès d’huile, puis disposer sur l’assiette.
@. Sel glace:
Sel fin inspiré du sucre impalpable, que l’on peut faire soi-même, avec le type de sel souhaité. À utiliser pour les élaborations que l’on veut saler sans que l’on ne remarque la touche de sel entre les dents : salades, grillades, crustacés, poissons, etc.
DRESSAGE :
On veillera à dresser les élaborations le plus simplement possible, en se limitant presque à laisser les produits s’appuyer sur l’assiette. On procèdera de même ici, en tenant compte du fait que la gamba tend à se placer dans la position détaillée sur la photo.
Si les dressages sont simples, les étapes préalables sont beaucoup plus complexes et recherchées : les points de cuisson, la perfection des températures, le traitement et la qualité des matières premières sont presque une obsession.
Pendant que la gamba est au four, tiédir le nappage translucide à 80ºC, puis faire revenir le soja et la dent de lion pendant 3 secondes comme mentionné précédemment.
Disposer le soja et la dent de lion au centre de l’assiette, que l’on couvrira avec la gamba préalablement saupoudrée au point de sel glace et de charbon végétal. A table, verser le nappage translucide le long de la gamba, de manière à bien absorber la poudre de charbon et à créer l’infusion du thé, qui aromatisera le bouillon et l’ensemble du plat, dégageant une fragrance de braise sans la présence de celle-ci.